L’interview du Barbare, un an plus tard en Belgique

Il y a un an, nous avions interviewé le Barbare pour qu’il partage avec nous ses impressions sur la vie en Belgique.

Aujourd’hui, nous faisons le point avec lui sur l’année écoulée.

16. Le Barbare Belgique

Habites-tu toujours en Belgique ?

Oui, j’habite toujours en Belgique. Ma situation géographique n’a pas changé. J’ai eu l’occasion de retourner en France pour les vacances, dans mon Sud natal. Au fond, je me dis que le ciel bleu de la Catalogne ne vaut pas vraiment tous les imbroglio familiaux qu’il véhicule, donc je n’éprouve aucune envie particulière d’y retourner, sauf le fait d’être en vacances, mais pour ça, il y a bien d’autres endroits dans le monde.

Qu’y fais-tu aujourd’hui ?

J’ai créé ma propre société. Je suis freelance/consultant informatique. Les débuts sont chaotiques. J’imagine que ce n’est pas relatif à la Belgique et que toute entreprise personnelle demande beaucoup d’efforts pour déboucher sur quelque chose de viable.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui te plaît dans ta vie à l’étranger, et qu’est-ce qui te plaît moins ? Penses-tu t’être habitué aux choses qui te gênaient il y a un an de cela ?

Au fond, je ne vis pas vraiment à l’étranger. La Belgique, c’est chez moi. Pas que je me sente particulièrement Belge, Wallon ou Carolo. Je crois que c’est le propre de l’intégration que de n’avoir pas/plus ce sentiment que l’on est pas chez soi. Il y a des choses qui me plaisent ici, et d’autres qui me plaisent moins mais ce sont plus des faits du quotidien qui n’ont rien à voir avec le pays. J’ai fait une croix sur la possibilité d’avoir du pain de qualité, ou des viennoiseries dignes de ce nom. Pour l’anecdote, la dernière fois que j’ai voulu tenter un pain au chocolat du Pain Quotidien (dont il y a des enseignes en France…) j’ai déboursé 3€ / pièce. Soit, plus qu’à Londres et bien plus qu’en France. Étant donné que je ne cherche pas à reproduire un mode de vie propre à la France, ou étant donné que je ne suis pas dans la comparaison systématique avec l’Hexagone, j’ai pris l’entièreté des avantages/inconvénients de la vie en Belgique comme acquis et je les partage avec l’ensemble de la population belge.

As-tu découvert d’autres choses qui te plaisent dans ce pays ? Et qui ne te plaisent pas ?

Alors, je vais parler du côté professionnel, parce que c’est assez intéressant. Fin 2013, j’ai été licencié assez sèchement (du genre du jour au lendemain, par recommandé), suite à une faillite. Mon employeur, peu scrupuleux, m’a laissé sur le carreau avec une ardoise assez salée : 2 mois de salaire + 3 mois de préavis + toutes les primes et les congés payés. La protection sociale fait que les employés sont indemnisés en cas de faillite. Chose qui n’existe pas, à ma connaissance, en France. Alors sur le papier c’est plutôt confortable. Sauf que, ça prend un minimum de 18 mois et vous devez faire face à l’administration dans toute sa splendeur (tant au niveau bureaucratique que taxatoire). Sur un capital dû de ~22.000€ brut je vais en toucher ~6000€ net. Vous me direz, c’est déjà ça. Oui, sauf que ce capital représente des années de travail, des primes dues et surtout que j’ai déjà payé mes impôts dessus ! Bref, j’ai pu expérimenter le chômage belge. Première désillusion, les allocations sont plafonnées. Que vous gagniez 1200€ ou 15000€ par mois, vous toucherez la même chose. Attention à la chute du niveau de vie. Mon premier mois de chômage, j’étais indemnisé à hauteur de ~70€/jour (ouvrable). Au bout d’un an, cette allocation tombe à ~15€/jour, chaque mois passé entraînant une dégressivité. Ça surprend et ça pique. Surtout que ces mesures sont toutes nouvelles. Avant (soit il y a moins de 3 ans), les allocations de chômage étaient à vie et peu ou pas dégressives ! Certaines personnes manifestent d’ailleurs pour revenir à ce système car il y a eu beaucoup d’exclusions (~50 000 personnes, du jour au lendemain). Par contre, je n’ai pas vraiment constaté la paupérisation tant annoncée dans les média belges.

Ensuite, j’ai pu bénéficier de l’aide d’une coopérative pour lancer ma société. J’avais un coach attitré, des cours de gestion, des ateliers, des réunions avec des entrepreneurs régionaux, etc. Ce genre d’initiative est assez intéressante, et je ne sais pas si ça existe en France. Pendant 2 mois, vous étudiez votre activité, modèle économique, rentabilité, les outils/investissements nécessaires, etc. On ne fait jamais les démarche pour vous, mais on vous oriente, ce qui est plutôt positif dans l’optique de savoir gérer soi-même. Si la coopérative juge votre projet viable, vous êtes accepté, vous pouvez utiliser leur numéro de TVA pour facturer vos clients et/ou faire vos achats, pour une période allant de 9 à 18 mois, le temps de mettre votre affaire sur les rails. Durant cette période, vous touchez des allocations de chômage. Attention, ce n’est pas gratuit, tout se paye via des chèques formations. Personnellement, ça m’a coûté ~300€ + 10% de tout ce que j’ai facturé en passant par eux. Globalement, le fait de devenir indépendant, ou de créer sa propre entreprise est moins mal vu qu’en France, mais ce n’est qu’une impression, je n’ai pas expérimenté la chose de l’autre côté de la frontière.

Pour conclure sur la situation financière, surtout pour ceux qui seraient tentés de venir ici, la Belgique a fait le choix de baser son imposition quasi exclusivement sur le travail (et non le revenu). Les salaires ne sont pas super élevés, les retenues énormes, et les charges patronales assez étouffantes. Par contre, il n’y a pas vraiment de taxe d’habitation par exemple, et l’impôt foncier est moins élevé qu’en France. Les prix à la consommation sont globalement plus élevés, mais pas radicalement. Les loyers assez similaires, mais il n’y a pas d’APL. Les frontaliers vont faire leurs courses en France ou en Allemagne, car c’est moins cher pour une grande partie des produits de base. À moins d’avoir un boulot en or, si vous êtes un cadre moyen, il n’y a aucun avantage salarial à venir en Belgique, sauf si vous aimez la bière, ou que vous êtes suffisamment fortunés pour ne pas bénéficier d’un salaire (mais de dividendes, de rentes de loyers, ce genre de choses…)

Est-ce qu’un an de plus te donne l’impression d’être encore davantage intégré ?

Il n’y a pas de réponse oui/non possible pour moi. Comme j’ai déjà dit, je suis ici chez moi, comme je pourrais l’être dans pratiquement tous les pays. À partir du moment où l’on a le même mode de vie que la population, l’intégration est assez triviale. Et puis, il faut dire qu’il y a beaucoup de gens issus de l’immigration ici, en particulier italienne du début du siècle, alors ça fait plus un joyeux melting pot qu’autre chose.

Quel est ton bilan général de cette année passée ?

Créer ma propre entreprise en Belgique m’a permis de prendre conscience de deux choses :

– le côté hautement politisé de la Belgique. Il m’arrive de regarder des émissions d’actualités ou politiques sur les chaînes françaises. D’ailleurs, en Belgique francophone, la population est plus au fait des tribulations du président français que du premier ministre belge (En son temps, il avait été demandé à Yves Leterme – un flamand comme son nom ne l’indique pas – de chanter l’hymne nationale belge. Il a fredonné la Marseillaise, et non la Branbançone). J’entends souvent qu’en France, il y a une alternative politique droite-gauche (quoi qu’on pense sur la teneur des programmes, ce n’est pas le débat). Ici, c’est directement des gouvernements d’union nationale et c’est loin d’être une réussite. Au nord, ce sont la N-VA et le CD&V (droite nationaliste flamande et centre-droit) qui sont au pouvoir. Au sud, ce sont le PS et le CDH (gauche et centre gauche), au fédéral c’est le MR-Cd&V-NVA qui sont au pouvoir (droite francophone, centre-droit flamant et droite nationaliste flamande), et à Bruxelles ce sont le PS et le FDF (gauche et droite francophone bruxelloise). Bref, à part les écolos qui ont vu leurs voix siphonnées par l’extrême gauche (PTB) et le Vlaams Belang l’extrême droite (qui, elle, a été siphonnée par la NVA), tout le monde est au pouvoir. Si tu ne comprends pas, pas de soucis, dis toi juste que c’est une grande bande de copains qui s’autocongratulent en s’insultant à longueur de journée… en plusieurs langues. Au point qu’à chaque élection, tout le monde a gagné quelque part. Il y a un tel mille feuille institutionnel que le pays est plongé dans une inertie assez démoralisante (au point qu’il peut survivre plus de 500 jours sans gouvernement…). Les compétences sont divisées entre pouvoir fédéral et régional, d’orientation opposées, et rien ne se fait, ( sauf augmenter les impôts 🙂 ). Ça permet de comprendre la devise de la Belgique (l’union fait la force) sous un tout autre angle. Il faut savoir aussi qu’un citoyen lambda doit passer par des organismes politisés pour les soins de santé (mutuelle) et les allocations de chômage (syndicat). Il existe des alternatives neutres ou privées mais elles sont moins mises en avant et disposent de bien moins de moyens. Au quotidien, cette surpolitisation de la vie est assez lassante.

– La Belgique est un microcosme du modèle de vie à l’Européenne. Le but d’une grande partie de la population est d’obtenir un emploi « sûr » au sein d’un organisme public (et ils sont légions), avec tous les avantages qui vont avec (salaire, congés, pension, etc.). Je pense qu’en ça, la vie n’est pas vraiment différente de la France, mais les écarts privé/public sont vraiment très nombreux, accentuant le désir de beaucoup de pouvoir bénéficier de ces avantages. Mais bon, travailler dans le public n’est pas une chose facile, vu que tout est politisé, faut se préparer à être broyé par l’appareil et enchaîner les burnout. Il y a aussi l’Union Européenne et ces pléthores de bureaucrates. La dernière fois que je m’y suis intéressé, j’ai appris que les employés de ces institutions n’étaient pas soumis à l’impôt (j’ignore si ce sont tous les employés, et si c’est encore le cas) sur le travail, ce qui déséquilibre fortement le niveau de vie de la population bruxelloise.

À l’attention de tous mes concitoyens hexagonaux, au risque de froisser vos oreilles et vos ego : arrêtez avec « nos amis belges » ou « nos cousins canadiens ». Les Belges ne sont pas vos amis, et les traiter avec condescendance fait que, lorsque vous êtes sur place, vous devez vous justifier de ne pas être comme les autres. Les Belges ne sont pas « sympa ». Ce sont des personnes comme les autres, avec leur lot de chouettes gens et de sombres connards. Évitez de venir ici pour faire des blagues avec un accent bruxellois que personne n’a en réalité, pour conclure sur « une fois » qui n’est pas plus employé, ni pour demander, amusé, ou sont les champs de frites ou de moules. Derrière cet humour dont la finesse est laissée à votre appréciation, il y a des gens qui partagent votre nationalité et qui doivent en assumer les conséquences, alors pour eux, merci de faire un effort.

Au fond, je suis assez critique envers la Belgique, mais pas du tout envers les Belges. Les gens ici, quelles que soient leurs nationalités, font face aux mêmes problèmes. Et ce n’est pas en tant qu’expatriés mais plutôt en tant que citoyens que Fedora et moi envisageons de partir sous d’autres latitudes en quête d’une vie plus… sereine.